Jargonnant comme jamais, dans le sabir habituel des communicants apatrides, François Hollande, lors de la conférence de presse du 14 janvier dernier, a proposé aux Français un improbable « pacte de responsabilité » destiné, notamment, à alléger les charges des entreprises, en contrepartie de quoi ces dernières s’engageraient à embaucher. En outre, l’ex-conseiller général de Corrèze a décidé la mise en place d’un non moins théodulesque « Conseil stratégique de la dépense » auquel sera assigné l’évaluation mensuelle des politiques publiques. On est évidemment très loin des enjeux et l’auto-proclamation incantatoire de la « social-démocratie » n’est qu’une duperie de plus.
La double pensée d’Hollande
Comme le relevait l’essayiste, Eric Dupin, sur slate.fr, « l’expression «social-démocrate» désigne moins une identité idéologique précise qu’elle n’est le signe sémantique d’une inflexion politique. (…) Née de la Révolution française, bercée par le romantisme révolutionnaire, largement coupée du mouvement syndical, la gauche française a toujours eu une fâcheuse tendance à se payer de mots. Elle compense, par sa rigidité doctrinale, les accommodements opportunistes auxquels l’exercice du pouvoir l’obligent régulièrement. Qu’importe que les pratiques trahissent les idées si la religion des mots est préservée » (15 janvier). Tout en feignant de se soucier de « justice sociale » mâtinée de démocratie participative, la gauche se paye de mots ainsi qu’en atteste l’injonction formulée par son « laboratoire d’idées », Terra Nova, l’incitant dorénavant à s’intéresser aux immigrés (ces nouveaux « damnés de la Terre »), aux couches écolo-bobo-progressistes des villes et aux minorités sexuelles. Ce faisant, elle pratique ce que Jean-Claude Michéa appelait, à la suite d’Orwell, la double-pensée, laquelle consiste à défendre et soutenir simultanément deux thèses parfaitement antagonistes (et antithétiques), tout en étant convaincu de leurs véracités respectives. Les déclarations de Hollande à la presse sont, de ce point de vue, symptomatique de cette schizophrénie de la gauche qui tout en se réclamant du socialisme des grand ancêtres de Jaurès à Blum, n’en épouse plus aucun des préceptes pour mieux coller aux idéaux libéraux (politiques et culturels) du capitalisme transfrontières. Ce mensonge à soi-même devient, par la force sidérante des mass médias, un mensonge à l’égard de tous, donc une effroyable imposture.
Social-démocratie ou socio-traitres ?
On comprend alors pourquoi, le syntagme « social-démocrate » est utilisé à des fins d’habillage sémantique bien commode pour masquer les trahisons successives de la gauche française sur l’autel de l’économisme, autre épithète de l’économie de marché. Friedrich Engels ne s’y trompait pas lorsqu’il affirmait, jadis, que « pour Marx, comme pour moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre ». La vérité est que la social-démocratie n’a jamais existé en France, ce depuis le compromis historique (au lendemain de l’affaire Dreyfus) entre les socialistes des origines et la gauche bourgeoise républicaine, la première ayant été d’abord trompée et, in fine, absorbée par la seconde. De là, vient cette rupture incoercible entre la classe ouvrière et un patronat parfois issu de cette néo-bourgeoisie progressiste. D’autre part, ceux qui crie aujourd’hui à la trahison, du côté de chez Mélenchon, quand ceux, rive droite, chez Copé et consorts, hurlent au pillage idéologique, s’engoncent un peu plus dans une (im)posture politicienne qui ne doit plus tromper personne. On attribue à Philippe Séguin, cette formule selon laquelle depuis vingt ans, droite et gauche sont les détaillants du même grossiste, l’Europe. Un tel unanimisme en la matière ne peut déboucher que sur une pensée homothétique, monolithique et dogmatique : la pensée unique. Michéa encore lui – qui, par les « récupération » dont il est l’objet, d’Eric Zemmour à Marine Le Pen, en passant par Alain de Benoist et l’Action Française, est la cible d’attaques particulièrement virulentes de la part de ses « amis » de « gauche », lesquels le taxent de « déviance » néo-droitière, voire populo-réactionnaires – interprétait ainsi « le paradoxe de la ‘‘pensée unique’’ : il n’existe, en effet, aucune contradiction de principe entre la lutte des libéraux économiques pour la mondialisation des échanges et pour l’abolition de toutes les frontières, et celle que les libéraux politiques et culturels ont engagée contre tous les ‘‘tabous’’ arbitraires de la morale et contre ‘‘toutes les formes de discrimination’’ » (La double pensée. Retour sur la question libérale, Flammarion, 2008). Cette incapacité, consciente ou non, à s’affranchir des dogmes du « politiquement correct » oblitère radicalement et définitivement la crédibilité de ceux qui, aujourd’hui, redécouvrent l’eau chaude d’une impuissance politique dont ils ont été les infatigables architectes.
Aristide Leucate
Article paru dans L'Action Française 2000 n°2879