Ça fait 50 piges tapantes que Louis, dit le Mexicain (Jacques Dumesnil) a cassé sa pipe. Dans son plumard. Au boulevard des allongés, il est allé rejoindre JFK, lui, dessoudé tantôt comme un vulgaire truand. Sentant sa fin proche, il fait venir Fernand Naudin (Lino Ventura), son ami de vingt ans du mitan, rangé des voitures mais pas des tracteurs dans lesquels il s’est reconverti, à 800 bornes de là. A Montauban.
En présence des frères Paul (Jean Lefèbvre) et Raoul Volfoni (Bernard Blier), Henri le barman du bowling (Paul Mercey), Théo, le « coquet » responsable de la distillerie clandestine (Horst Frank) et de Pascal, l’homme à la « présence tranquillisante » (Venantino Venantini), le Mexicain annonce qu’il « cède ses parts à Fernand ici présent », lequel, dans la foulée, recueille le dernier soupir et la fille ultra gâtée d’icelui (Sabine Sinjen). Le décor, l’intrigue et les principaux protagonistes sont posés.
Reste pourtant une question shakespearienne essentielle : « grisbi or not grisbi ? ». Ce titre argotique du polar éponyme de l’infréquentable droitier Albert Simonin (auteur des non moins célèbres Touchez pas au grisbi ! et Le cave se rebiffe, tous deux adaptés, respectivement par Jacques Becker en 1954 et Gilles Grangier en 1961) paru en 1955 dans la fameuse Série noire de Gallimard, sera recyclé dans le pastiche figuratif, façon Audiard et Lautner. Si celui-là passe à la postérité pour des répliques jouissives et une verve toute célinienne, celui-ci n’est pas en reste avec une réalisation au cordeau. Son écriture cinématographique s’inspire des grands maitres que furent Orson Welles (par sa maîtrise de la focale longue permettant d’ingénieuses profondeurs de champ), voire Hitchcock et Fritz Lang. Allez savoir s’il n’a pas influencé Sergio Leone avec ses plans rapprochés pour duels lexicaux, façon dynamite !
Et il y a le style aussi, tiré à la source des meilleurs artisans d’Hollywood, tels Howard Hawks ou John Huston. Du génie ? Y en a ! Tutoyant « l’anti accord absolu » du sublime, le tout soutenu par le thème corellien de Michel Magne. Pour sûr, les Tontons, c’est un film du XXe siècle (ça tombe comme à Stalingrad, Mauser 96. en pogne, tandis que la seule évocation de l’Indo et de la taulière comac de Bien-Hoa, vous tire les larmes) mais authentiquement et gaillardement français (les fils de Charlemagne échangent les bons mots d’Alphonse Allais, assis sur des sièges Louis XV). Au XXIe, « s’y ajoute chez certains un incontestable snobisme, le délicieux sentiment de s’encanailler en défendant un film populaire », écrit Jean Tulard.
On croit causer l’argot sans peine mais c’est leurre et c’est à ça qu’on le reconnaît. Car qui « entraverait qu’avant de mouchailler ses roberts, une tapineuse exigerait là de palper son oseille » ? 50 carats plus tard, c’est au tour de tonton Lautner d’être flingué par la Camarde. Avec ses éternels complices Michel, Francis, Lino, Bernard, Jean… il a remonté le bastringue chez Saint Pierre. Son nom ? Le terminus des prétentieux.
Article paru sur Boulevard Voltaire, le 27 novembre 2013