Nos temps sont devenus si médiocres que la tentation est aisée de prendre paresseusement la partie pour le tout et de tirer d’une aussi abusive régression intellectuelle des leçons définitives et péremptoires. C'est ainsi que moins d’une semaine après la tuerie qui a meurtri la communauté noire de Charleston, le gouverneur Républicain de Caroline du Sud, Nikki Haley, a demandé le retrait du Scarry Cross – ou Battle Flag dessiné par le courageux général de Beauregard – qui flotte toujours à côté d’un monument aux soldats confédérés devant le parlement local à Columbia. « Les événements de la semaine passée doivent nous porter à le regarder de façon différente. (…) Le fait que certains [l’auteur de la tuerie, en avait fait un symbole de sa haine des Noirs, NDLR] le choisissent comme un signe de haine ne doit pas être toléré », avait-elle justifié, jusqu’au président Obama qui enjoignait de le ranger au musée des souvenirs.
L’assassin comme le gouverneur ont rouvert à leur manière, certes symboliquement, les plaies ardentes de ce sanglant conflit qui déchira la jeune Amérique du Nord – « war between the States » selon la terminologie sudiste –, faisant périr plus de 600 000 soldats, sans compter les lourdes pertes civiles.
Seule la longue histoire permet d’expliquer, à la fois, la persistance du sourd dénigrement du Nord à l’égard du Sud, comme cette part d’indicible ressentiment étreignant, jusque dans ses tréfonds, l’âme sudiste. Deux peuples, deux visions du monde. Un Nord puritain et mercantiliste ayant fui les persécutions d’une royauté anglicane aussi inflexible que le fanatisme du premier (qui charriait son lot de quakers, presbytériens ou baptistes). Un Sud aventurier cherchant à s’émanciper d’une Angleterre jugée trop exigüe. L’un vivra en autarcie quand l’autre développera une économie de plantation qu’un climat méridional favorisera. Le rigorisme religieux aussi froid que le vent soufflant de Terre-Neuve contrastant avec la douceur de vivre d’un Sud aristocratique.
Et puis vint la guerre. A l’origine, la jalousie craintive du Nord vis-à-vis du Sud qui n’en finit plus de se développer. Le Nord finira par asservir le Sud au prix d’une casse industrielle, d’un dumping tarifaire et d’un protectionnisme douanier qui rendra ce dernier exsangue. L’esclavage ne sera qu’un prétexte politique. Au Sud, à l’indiscutable sévérité juridique du statut des Noirs, correspondait une familiarité dans les mœurs qui atténuait considérablement les frontières raciales. Citons Tocqueville : « Au Sud (…) le maître ne craint pas d’élever jusqu’à lui son esclave (…). Au Nord, le Blanc (…) s’éloigne du Nègre avec d’autant plus de soin qu’il craint d’arriver un jour à se confondre avec lui ». La moraline des bons sentiments universalistes achoppait déjà sur le réel d’une fraternité raciale qui, loin d’être parfaite, assurait l’équilibre de la société.
Le 9 avril 1865, à Appomatox, le valeureux général Lee rendit les armes. Il ne restait alors plus qu’à ce peuple, écrasé jusqu’à l’humiliation, que les lambeaux en sanglots d’une bannière rouge à croix de saint André parsemée des treize étoiles. Celles-ci rendaient les derniers feux d’une civilisation bientôt gagnée par l’« American way of life » de l’Union.
Autant en emporta le vent…
Article publié le 24 juin 2015 sur Boulevard Voltaire