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La régionalisation, une révolution anthropologique

François Hollande envisage de reculer en 2016 les élections cantonales et régionales, en vue de parfaire la réforme territoriale annoncée par son premier ministre (qui conduirait, notamment, à la suppression des départements comme circonscriptions politiques, au renforcement corrélatif des intercommunalités et à la réduction de moitié du nombre de régions). L’occasion pour nous de revenir sur l’esprit qui devrait présider à un tel bouleversement, plus identitaire que simplement administratif.

Vers l’euro-régionalisme

Dans un article publié sur Boulevard Voltaire (17 décembre 2013) Pierre Hillard (et repris dans son dernier ouvrage, Chroniques du mondialisme, Éditions du Retour aux Sources, 2014), résumait limpidement les enjeux de cette réforme que Jean-Marc Ayrault avait déjà mise sur les rails : « Bruxelles, acquis à la cause régionaliste, veut affaiblir les États afin d’être seul maître à bord et réussir ainsi la création d’un bloc européen composé d’une myriade de régions soumise à sa seule autorité. Il est vrai aussi qu’une telle évolution faciliterait l’instauration d’un marché transatlantique où seuls deux interlocuteurs – l’administration américaine et la commission européenne – se feraient vis-à-vis. Ainsi, le principe régionaliste mettant à mort les nations permettrait l’émergence de cités-États et de régions dans le cadre d’une Europe fédérale et farouchement technocratique ». Dans ces colonnes, en écho à ces propos, nous dénoncions l’alibi des économies d’échelles avancées par le gouvernement pour justifier une réforme (celle-ci ne rapportant pas plus de 25 milliards d’euros) devant prioritairement s’avérer euro-compatible. A l’heure où les peuples européens sortent peu à peu de l’état de « dormition » – selon la fameuse expression de Dominique Venner – où l’ont plongé nos technocrates bruxello-mondialistes, les politiques publiques actuelles filent toujours plus vite et plus follement que naguère, vers le précipice européen où se sont abîmés tant d’espoirs déçus et d’échecs aux lourdes conséquences sociales, industrielles et économiques.

Un recul de civilisation

C’est une constance, aussi mortifère que diabolique, du pouvoir a-national socialiste que de déconstruire, non pour reconstruire, in fine, mais bien pour détruire définitivement et littéralement déraciner les Français. La nouvelle régionalisation promise par le gouvernement Valls constitue un recul de civilisation, dans la mesure où, d’une part, elle s’inscrit à contre-courant de la tendance à la centralisation – amorcée depuis Philippe Auguste et ses baillis voire Charlemagne et ses missi dominici –, d’autre part, elle porte le coup de grâce à la souveraineté interne de la France – logiquement indissociable de sa souveraineté externe. L’historien, François Bluche, notait très justement que si la France était « aux XVIIe et XVIIIe siècles, le pays le plus centralisé de la Chrétienté », d’une manière générale, « les Capétiens ont régné dans un esprit patrimonial, grosso modo chrétien, humain, sage et empirique. (…) Et c’est pour cela que les provinces : 1) ont été relativement ménagées, 2) n’ont été intégrées que par étapes, 3) ont été réunies plus que conquises. Le style de cette ancienne France est toujours empirique, non dogmatique, jamais systématique ». En outre, l’anarchie territoriale (au sens propre du terme, soit une société sans État) qui s’en suivra, rencognera la France dans un paradigme constitutionnel bien plus proche du modèle fédéral que de celui de l’État-nation. Ainsi, alors que le pouvoir normatif est désormais dévolu à Bruxelles (faisant de notre Parlement une chambre d’enregistrement des règles européennes), tandis que celui de battre monnaie est parti à Francfort, celui de commander aux collectivités locales sera donc retranché des prérogatives régaliennes, au plus grand bénéfice des institutions de l’Union européenne qui traiteront directement avec elles. Bon nombre de juristes considéraient pourtant que la souveraineté théorisée par Jean Bodin était à l’origine de l’avènement de l’État moderne, refermant ainsi le chapitre historique et politique, nécessaire mais transitoire, de la féodalité.

Les territoires, un art de vivre

Il ne s’agit pas de plaider pour un « retour » à l’Ancien régime, mais seulement de retrouver, dans le temps long de notre histoire, ce patrimoine génétique – ce que l’immense Fernand Braudel appelait la « grammaire des civilisations – qui constitue, nolens volens, le génie de la France. Dès les premières lignes de sa célèbre Histoire de France, Jacques Bainville écrivait que « le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation ». Or, celle-ci est composée de multiples identités qui, au fil des siècles, ont été simultanément façonnées par sa géographie, sa religion et sa commune origine gallique. D’ailleurs, dans son Gallia, Camille Jullian relevait que « la configuration du pays portait à l’unité ; les siècles de vie romaine ont fortifié l’habitude de la communauté. Qu’on lise les écrivains du Bas-Empire et l’on verra comment aux yeux des contemporains, la Gaule formait un État homogène et compact ». C’est dire que l’architecture provinciale de notre pays participe du substrat de son peuple. Relisons le langoureux sonnet de Joachim du Bellay : « Plus me plaît le séjour qu’on bâti mes aïeux…Plus que le marbre dur, me plaît l’ardoise fine…Et plus que l’air marin la douceur angevine ». Le poète avait ressenti le caractère insécable de l’homme et de son terroir. C’est dire encore que le découpage territorial de la France doit être appréhendé avec tact, humilité et recueillement, tant il est au cœur d’un art de vivre ancestral.

Aristide Leucate

Article publié dans L'Action Française 2000, n°2886

Commentaires

  • Approche originale d'une question qu'on réduit trop souvent à des problématiques juridiques et administratives.Décidément, ces socialistes haïssent tout ce qui est français. Je vais acheter ce numéro de l'Af et peut-être m'y abonner.On m'avait recommandé ce journal assez souvent. De tels articles comme les vôtres nous donnent de l'espoir sur le renouveau de l'intelligence française.

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