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  • Ni droite, ni gauche: la politique comme souci

    La caractéristique première d’un système réside dans sa capacité à assurer sa conservation, sa survie. Pour cela, il doit sans cesse évoluer non pour modifier intrinsèquement son identité primordiale (le ferait-il qu’il disparaîtrait en tant que tel pour devenir au autre), mais pour s’adapter à son environnement. Le système politique, surtout en démocratie, n’échappe pas à cette constante. Ainsi, le tropisme « ni droite, ni gauche » qui atteint l’ensemble des partis de l’Etablissement, du Front national, au nouveau « En Marche » d’Emmanuel Macron, jusqu’au MoDem, participe-t-il de cette fonction homéostatique qui maintien, vaille que vaille, le système politique actuel la tête hors de l’eau.

    Au centre

    Sans doute désireux de connaître les frissons d’une élection présidentielle – c’est-à-dire, finalement, sans que le moteur de ce souhait taraudant ne soit mû par un authentique et réel projet pour la France –, Emmanuel Macron a lancé, début avril un énième parti politique dont le positionnement officiellement déclaré ni à droite, ni à gauche, finit par confirmer, de part et d’autre de l’échiquier politique, l’existence de subdivisions (d’aucuns les qualifieraient plus poétiquement de « nuances ») au sein de chaque mouvance partisane : une aile droite au PS (sans oublier son aile « gauche » représentée par les « Frondeurs »), une aile gauche chez les Républicains, idem au FN et des « ni droite, ni gauche », chez les uns, comme chez les autres. Ces derniers, obsédés que nous serions par une inflexible rigueur taxinomique, seraient-ils donc des royalises latents (adjectifs utilisé dans une acception rigoureusement psychanalytique) ? Dans la négative, leur républicanisme sourcilleux les porterait-il alors vers le « centre » ? Celui-ci devient pourtant saturé à force d’être préempté, tant par François Bayrou que par L’UDI fondé par l’ex-ministre écolo, Jean-Louis Borloo ou le « Nouveau » centre présidé par Hervé Morin. De plus, leurs accointances idéologiques comme leurs connivences gouvernementales passées avec la « droite » républicaine (Bayrou fut ministre de Balladur et de Juppé, tandis que Morin occupa le portefeuille de la Défense dans le gouvernement Fillon) semblent les éloigner irrésistiblement de la senestre du blason multipartiste français. A croire que la loi du milieu s’applique partout sauf au centre, preuve de son instabilité congénitale due, pour l’essentiel, à l’opportunisme chronique de ses membres qui se vendent aux plus offrants. On se rappellera, pour l’occasion, cette boutade de Pasqua, selon laquelle (à l’époque), « le RPR amenait les électeurs et l’UDF les élus ».

    Preuve tacite de la faillite du système

    Sentant les Français peu à peu gagnés par un sentiment de dégoût à l’égard d’une classe politique endogamique et hors-sol dont le discrédit profond n’a d’égale que son incompétence structurelle à répondre efficacement à leurs problèmes (affaissement du pouvoir d’achat, chômage endémique, insécurités diverses, etc.), nos politiciens professionnels, sur les conseils de leurs conseillers en communication, se mettent à inventer des formules pour « faire de la politique autrement ». Le créneau « ni droite, ni gauche », un temps occupé par le FN (lui-même, l’ayant emprunté au général De Gaulle vitupérant, à son heure, contre le « régime des partis »), paraît faire des émules, tous azimuts. De Jean-Pierre Raffarin qui suggère un « pacte républicain » avec le gouvernement Valls pour lutter contre le chômage, à Yves Jego et Arnaud Montebourg qui propulsent un « Vive la France » transpartisan, jusqu’à Jean-Pierre Chevènement qui caresse l’utopie, «au-delà des logiques partisanes», de conduire l’improbable attelage d’« une alternative républicaine, de Mélenchon à Dupont-Aignan.» à Barbara Pompili, en rupture de ban avec son parti EELV, qui, avant son entrée au gouvernement, envisageait, elle-aussi, une « plateforme » « citoyenne », ni de droite, ni de gauche, bien que scrupuleusement « républicaine ». Toutefois, à bien y regarder, tous ont en commun des postures que l’on dénommerait « situationnistes » (rien à voir avec l’organisation marxiste debordienne), tant il est patent que tous cherchent d’abord à se démarquer de leurs attaches partisanes originelles. Un peu comme si, pressentant un inévitable naufrage, chacun essayait de rompre avec ce qu’ils tiendraient, implicitement mais nécessairement, pour des entreprises en état de faillite.

    Se départir des partis

    Cette démarche de type « marketing » est à la fois pathétique et d’un profond cynisme. Philosophiquement incapables de s’affranchir conceptuellement d’un paradigme politique qui ne serait, précisément, pas celui de la démo-oligarchie qu’ils ont toujours connus, ils persévèrent, néanmoins, dans l’erreur diabolique de conduire leurs mandants vers les mêmes mirages impolitiques qui mèneront, de toute évidence, aux mêmes catastrophes. Or, vouloir se débarrasser d’une étiquette, au prétexte de ne s’en voir affubler aucune autre, suppose, en toute logique, de ne pas rentrer à nouveau dans une logique de parti. En d’autres termes, s’émanciper du PS ou de l’UMP, comme de leurs innombrables clones ou alliés, implique de recouvrer une certaine liberté de pensée, de parole et d’action. Bref, se départir de tout parti, y compris celui que l’on serait naturellement conduit à créer, conformément à sa vision du Bien commun. Mais, c’est encore là que le bât blesse, car il conviendrait également de ne plus se laisser intellectuellement enfermer entre ses barrières idéologiques initiales. Dans un entretien à Boulevard Voltaire (17 avril), le philosophe Alain de Benoist réaffirme ce qu’il écrivait déjà dans la magistrale préface de son érudite anthologie des idées contemporaines, Vu de droite (Le Labyrinthe, 2001) : «  [on] ne juge pas des idées en fonction de leur provenance, mais en fonction de leur justesse. La valeur de vérité d’une idée ne dépend pas de son étiquette ». Tâche ardue, prima facie, que de jeter délibérément, presque à contrecœur, un voile d’ignorance opaque sur ses anciens préjugés, ses rassurants poncifs, ses principes abstraits. Et pourtant, si cruellement mais méthodologiquement nécessaire.

    La politique comme souci

    Il faut donc s’atteler au réel, ce qui signifie que l’on doit résolument tourner le dos aux ombres de la caverne et accepter, non seulement de voir la lumière (fut-elle, forcément, dans un premier temps, aveuglante), mais accepter aussi de voir ce que l’on voit, comme disait Péguy. La politique demande, dès lors, un effort particulier à l’esprit humain qui doit compter obligatoirement sur sa propre dimension tragique laquelle est, en même temps, la plus claire et immédiate conscience de la limite des possibilités humaines. En ce sens, toute politique se définirait, a priori, à l’aune de la part de démesure ou d’infini (sinon d’indéfini) projeté, qu’elle recèle. Pierre Boutang eut des phrases brillantes et subtiles pour approcher l’indicible condition ontologique de l’homme cet animal « politique ». Dans sa lumineuse Politique considérée comme souci (Jean Froissart, 1948), le philosophe démontre que tout homme doit avoir le « souci » de la politique, soit cette « destinée ‘‘ouverte’’ et qui peut être manquée ». On ne saurait mieux récuser, ce faisant, la « professionnalisation » de la politique qui s’analyse, au mieux, comme une captation illégitime de la prétention dévoyée et exclusive de quelques-uns à gouverner le reste, la masse. Illégitimité renforcée du fait de la déshumanisation corrélative de la politique et, partant, de sa perte de sens tragique. Or, nous dit encore Boutang, si « le souci politique n’est pas le souci tragique », il n’en demeure pas moins vrai que « la tragédie prend sans cesse la politique pour objet, parce que c’est dans les familles et les cités [nous soulignons] que le retentissement indéfini de la démesure, le risque fondamental pour l’être de l’homme de se dissoudre, se manifeste le mieux ». Précisant son propos, Boutang relève que « le souci politique est une attention aiguë à la possibilité indéfinie de la destruction que la démesure réveille, et dont la tragédie nous donne les exemples ». Rien de plus (ni moins, d’ailleurs) qu’une invite à reconsidérer la méthode maurrassienne (mâtinée de positivisme comtiste) de « l’empirisme organisateur » sous les auspices de la métapolitique et de la philosophie. Nous mesurons combien le « ni droite, ni gauche » est aussi superficiel que vain, tant il est aux antipodes de l’enjeu fondamental, au cœur de toute politique : la conservation du bien commun, dont l’homme constitue le principal « souci ». La politique est bien cette attention perpétuelle portée à l’homme et à sa civilisation. A ce stade, la question brûle les lèvres de savoir si, de cette conception ontologique de la politique, se déduit mécaniquement un type de régime ? Sans hésiter, nous pensons que la monarchie s’impose de facto car elle a pour elle de se situer hors d’atteinte de la fureur indomptable des passions, à commencer par celles de se faire élire, réélire et reconduire sans cesse. Elle s’épargne, aux moindres frais de son hérédité lointainement enracinée dans l’Histoire, de sombrer dans la « bêtise », cette « destruction de soi-même » écrit Boutang et qui fait « périr des Etats ». Maurras, évaluant l’indéterminé de cette « collectivité sans nom, sans honneur ni humanité », qu’est la République répondait que « la monarchie royale confère à la politique les avantages de la personnalité humaine : conscience, mémoire, raison, volonté » (Mes idées politiques, 1937).

     

    Article paru dans L'Action française 2000 n°2930