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Politique - Page 2

  • Nouveau livre d'Aristide Leucate: La Souveraineté dans la nation

    Souverainisme,Aristide Leucate,nationalismeFabrice Dutilleul : La souveraineté dans la nation est votre deuxième ouvrage après Détournement d’héritages paru, il y a un an, chez le même éditeur. Est-ce la suite de celui-ci ?

    Aristide Leucate : Ce n’est pas exactement la suite, dans la mesure où le propos du deuxième est principalement centré sur une seule notion, la souveraineté, tandis que le premier avait pour ambition de balayer des thématiques diverses. Mais on peut considérer, néanmoins, qu’il s’inscrit dans une démarche intellectuelle à peu près semblable consistant à analyser une réalité, politique en l’occurrence, qui n’est plus ou en voie de disparition.

    FD : Bien que portant sur la souveraineté, votre livre semble faire le procès du souverainisme.

    AL : C’est vrai, dans la mesure où le souverainisme a depuis longtemps (c’est-à-dire depuis au moins vingt ans) démontré sa totale innocuité rhétorique et politique. Tous les Français connaissent, même superficiellement, le patriotisme, notion apparue sous la Révolution. Celle de nationalisme leur est à peu près familière depuis le XIXe siècle jusqu’à leur devenir carrément repoussante depuis qu’on leur a enseigné que les horreurs de la guerre civile européenne de Trente ans étaient issues des idéologies impérialo-hitléro-fascistes, caricaturalement ravalées au nationalisme. Quant au concept de souverainisme, il est réellement connu au Québec d’où il fut importé comme de quelques initiés qui ont tenté de le théoriser et de le publiciser. L’objet du livre tend, notamment, à opposer ces notions (surtout celle de patriotisme encore audible, pour nos contemporains) à celle de souverainisme qui, décidément, peine à prendre dans le terreau culturel et politique français. Nous avons voulu souligner le contraste entre deux notions, apparemment siamoises, mais totalement antagonistes sur le plan opérationnel. Le premier peut attester, qu’en son nom, un parti comme le Front National a accumulé quelques succès électoraux, quand le second doit se résigner à n’être qu’un nain politique. De plus, on a refusé le patriotisme pour « malaria lepenia », on a aculé le nationalisme dans une « reductio ad hitlerum » à perpétuité, et on devrait accepter désormais cet insipide succédanée, ce souverainisme censé revêtir des oripeaux plus consensuels et fédérer par-delà droite et gauche. On voit le résultat…

    FD : Certes, mais vous rejetez le souverainisme en réhabilitant le nationalisme. Ne trouvez-vous pas que l’un est, somme toute, moins effrayant que l’autre et qu’il y a, aujourd’hui, quelque danger rétrograde à user de ce dernier ?

    AL : A la suite de Romain Gary, le général De Gaulle estimait que « le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres ». Il n’est rien de plus faux. Et ce que vous appelez « rétrograde » est la marque d’une certaine ignorance, hélas partagée, souvent de bonne foi, par beaucoup de non compatriotes désinformés. Le nationalisme comme le patriotisme font référence, par leur étymologie, à un fait de nature que Maurras avait d’ailleurs parfaitement bien entrevu. L’attachement à la terre ancestrale résulte d’abord du simple fait de naître sur un sol que l’on n’a pas choisi. Pour parler comme les astrophysiciens, on dira qu’il existe une singularité initiale qui conditionne certes l’individu mais, au-delà de lui-même, d’un point de vue holiste, la société toute entière qui, non seulement l’a accueilli comme l’un des siens engendré par les siens, mais encore et surtout de laquelle il est tributaire, sauf à ruiner les fondements de cette société si chacun de ses membres pouvait discrétionnairement s’en affranchir en récusant ses règles constitutives. En outre, parce que les concepts et les idées subissent autant les outrages du temps que des influences qui les transforment, il est apparu que le patriotisme semblait davantage s’adresser au cœur et aux vibrations intimes de l’âme (celles qu’un Marc Bloch avait sublimement sentis en parlant du souvenir de Reims et de la Fête de la Fédération), tandis que le nationalisme ressortait à la raison politique. Le patriotisme embrasse uniment quand le nationalisme hiérarchise et, par là même, pose des priorités. Il ne s’agit pas, comme on le dit trop légèrement par paresse ou ignorance, de distinguer selon des critères raciaux ou biologiques mais bien de déterminer des limites, à commencer par celles circonscrivant l’espace du politique, condition sine qua non de son exercice.

    FD : Concrètement, cela donne quoi ?

    AL : Concrètement, cela signifie que la nation (ou la patrie, deux termes franchement synonymes) n’est rien sans le peuple qui l’incarne, celui-ci n’étant qu’une vague entité hors-sol si elle se trouve dans l’incapacité de s’identifier à son substrat naturel. C’est dire que peuple et nation sont inextricablement et consubstantiellement liés. Le nationalisme est prioritairement une prise de conscience de soi, sans haine masochiste ni exclusivisme. Il n’aura un avenir que pour autant que la nation sera considérée comme la condition de survie d’un peuple. Mais encore faut-il que ce dernier soit littéralement habité par l’âme de la terre qui l’a vu naître et constamment préoccupé d’en transmettre un héritage dont il n’a que l’usufruit. Entre le fantasme d’un Age d’or de la nation et l’ethnocide consistant à la repousser indument, voire en l’abhorrant, existe ce juste milieu, la pérennité inconditionnelle et indisponible du politique. Ici, la souveraineté retrouve son rang, à la condition d’être enchâssée dans le peuple, siège du politique par excellence, peuple et politique convergeant vers le bien commun de la « polis ». Or, un peuple subitement dépouillé – même avec son consentement démocratiquement consigné – de ses attributs souverains, perd sa qualité d’ « être » politique et, ipso facto (et, ipso jure, si l’on veut rester conséquent), se voit contester le droit de se réclamer de sa nation d’appartenance. Pour faire le lien avec votre première question et donc avec mon précédent livre, nous assistons à la lente et inexorable dépossession de nous-même en tant que peuple qui se voit contester le droit ancien et, jusqu’à récemment (soit depuis une petite trentaine d’année), indiscuté, de vivre sur la terre transmise et façonnée par nos aïeux selon des us et coutumes bien définis.

    La Souveraineté dans la nation (Préface de Philippe Randa)

    Editions de l'Æncre, 25 €

    Disponible sur Amazon et Francephi

  • Crise politico-familiale au FN. Une tragédie française

    Tragédie shakespearienne ou drame cornélien, rien ne nous aura été épargné lors de ce sordide lavage de linge sale hors de la famille Le Pen. La fille exécutant le père, celui-ci la reniant urbi et orbi, sous le regard à la fois médusé et jubilant de la médiacratie militante. Triste passe d’armes familiales aux ressorts ultra politiques dont les conséquences ne le seront pas moins. Et au milieu croule la France…

    Mêmes causes, mêmes effets

    Si comparaison n’est pas raison, on ne peut s’empêcher de rapprocher cette déchirure d’avec la scission Mégret-Le Pen de 1998-1999. Il y a dix-sept ans, l’objectif était déjà d’exclure le Menhir, accusé par une nomenklatura mégrétiste qui, par un entrisme patient et méthodique, avait conquis le mouvement frontiste de l’intérieur, de cantonner désespérément ce dernier aux marges en repoussant, sine die, toute perspective d’accéder au pouvoir. Les griefs sont semblables : « Le Pen n’a, à leurs yeux [ceux des mégrétistes, NDLR], plus aucune qualité. (…) Le ‘‘moteur de la droite nationale’’ s’est transformé en ‘‘boulet’’. (…) [Mégret] plaidait pour la modernisation du Front national, regrettait l’influence qu’il jugeait néfaste des catholiques militants et entendant arriver au pouvoir à la manière italienne, par un jeu d’alliances avec le RPR » (Marine Le Pen, A contre flots, Grancher, 2006). Aujourd’hui, Florian Philippot a remplacé Mégret et Marine Le Pen tient les rênes du parti. Mégret était polytechnicien, Philippot est énarque. Deux têtes bien pleines. Deux stratégies identiques. Mégret perdra. En dépit d’une hémorragie des cadres frontistes qui rallieront son futur MNR, celui-ci n’aura ni élus, ni électeurs, quand le FN, bien que financièrement exsangue et politiquement affaibli, aura su conserver ces derniers, et démontrer une insoupçonnable capacité de résilience, comme le prouvera, en 2002, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Mégret – et d’autres comme Le Gallou ou Blot – provenait du RPR, Philippot de la galaxie chevènementiste. L’un était païen, l’autre athée et laïciste. Le premier, libéral, le second, étatiste. Mais, les deux, assurément empressés. Et Marine avec. Philippot sans doute davantage qui ravirait bien d’abord la tête du parti, tant « l’évidence est patente. Le vrai patron du Front national c’est Philippot. (…) Marine Le Pen n’est plus rien sans Philippot. Elle lui doit tout. Elle en est devenue tout à la fois l’otage et la création. Et le Front national avec » (Bruno Roger-Petit, Challenges, 6 mai).

    Hypothèse juive 

    Certains, comme Jean-Claude Martinez, ex-lepéniste historique, justifient cette nouvelle crise du FN par l’hubris de leur chef, dévorée, jusqu’à la démesure, par l’irrépressible désir du pouvoir. Y compris quand celui-ci se présente dans l’évanescence onirique et grisante des sunlights et des crépitements des flashs, le Times, organe de référence du mondialisme le plus effréné, parachutant le leader frontiste parmi les « cent personnalités les plus influentes au monde ». L’infatuité, l’ivresse passagère mais intense du contentement démiurgique de soi, jusqu’au vertige, peut troubler l’égo comme un fragile esquif au milieu d’une tempête. C’était déjà écrit dans L’Ecclésiaste : « Vanitas vanitatum, omnia es vanitas… ». Mais la psychologie n’explique pas tout à soi-seule. Ainsi, peut-on raisonnablement conjecturer que sa rencontre avec l’ancien premier ministre travailliste israélien (et ancien ministre du gouvernement de coalition de Netanyahou), Ehud Barak, n’était pas fortuite. En 2011, la dirigeante frontiste était même allée jusqu’à déjeuner avec l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Ron Prosor. De même, les propos que l’avocat, membre du bureau du CRIF, William-Gilles Goldnadel, lui tint en 2004, doivent-ils la hanter : « ‘‘pourquoi voulez-vous que je vous aide ? Vous n’avancez pas sur la Shoah et vous êtes pro-arabe’’. Il lui précise qu’elle ne peut rien attendre des Juifs tant qu’elle n’aura pas condamné sans ambiguïté les propos de son père » (Philippe Cohen et Pierre Péan, Le Pen. Une histoire française », Robert Laffont, 2012). Sacrifier au sanhédrin ? Hypothèse parfaitement iconoclaste, aux confins du délire complotiste, alors qu’il n’existe officiellement nulle religion de l’Holocauste, notamment, depuis le Tribunal militaire international de Nuremberg et les lois Pleven-Gayssot. Sans doute, la vérité politique n’est-elle qu’un détail au milieu d’océans de mensonges, d’impostures et d’illusions.

    Les nouvelles synthèses marinistes 

    La suspension par Marion Maréchal-Le Pen de sa propre candidature comme de tête de liste aux régionales de décembre prochain ouvre encore plus béante la malle de Pandore des incertitudes. Si, comme le soulève Minute (6 mai), « la crise au FN ne fait que commencer », attendu, selon une hypothèse non dénuée de fondement, que « jusqu’alors, Marine Le Pen pouvait arguer de ses divergences avec le grand méchant Le Pen. Désormais, elle sera la cible », il y a lieu de gager que c’est le début de la fin pour le FN. Dorénavant, il reviendra, en effet, à Marine Le Pen – à l’instar de son père, aux premières lueurs du parti – d’opérer la synthèse d’une quadrature du cercle idéologique intenable, à la fois européo-identitaire, souverainiste-gaullo-chevènementiste et libérale-étatiste, sur un fond de sauce vaguement néo-païen, gnostico-athéiste et catho postconciliaire. Autre ancien frontiste historique, Bernard Antony, considère, au contraire, que « paradoxalement, l’éviction de Jean-Marie Le Pen va (…) libérer la situation d’un enfermement dialectique entre le père et la fille. Lorsque l’on exprimera son désaccord avec la ligne de Philippot et de Marine, il ne sera plus possible de l’interpréter comme un alignement sur le père, donc dans l’ornière du ‘‘détail’’ ». (son blog, 5 mai). C’est sans compter, toutefois, sur les persistantes faiblesses structurelles du FN. Non sans amertume, le Menhir, lui-même, en convient, sous la forme d’un mea culpa aussi aigre que tardif: « ne nous faisons pas d’illusions sur la force réelle du mouvement. Le fait, réel, d’arriver en 1ère position lors des Européennes et des départementales ne doit pas nous aveugler. Le chiffre des voix obtenues doit être la vraie référence. Notre organisation, en progrès, reste très imparfaite, ainsi que la formation de nos cadres. Nous dépendons totalement des médias, puisque nous n’avons pas été capables d’avoir un journal ».

    Marine sous Le Pen 

    A cette aune, est-il permis de pointer un relatif aventurisme stratégique du parti, lequel donne parfois l’impression d’adopter la tactique du doigt mouillé. Sa communication précipitée, au lendemain des Européennes, sur le « premier parti de France » qui a fini par se retourner contre lui lors des dernières départementales en est l’exemple patent. Sous estimant la force de sidération médiatique qui a magiquement transformé le conglomérat UMP-UDI-MoDem en vainqueur du scrutin – tout en minorant la défaite du PS et de ses alliés –, il n’a, par ailleurs, guère tiré les leçons de la forte abstention. Or, cette fronde silencieuse contre les partis du Système n’a absolument pas été commuée en vote d’adhésion pour les candidats du Rassemblement bleu marine. Se pose, dès lors, la question cruciale – pour ne pas dire vitale – des alliances. Sans alliance utile au second tour, rien de probant ne peut survenir, sauf pour « l’UMPS » pour qui, en réalité, le FN, à son corps défendant, devient finalement le complice, sinon l’artisan objectif de ses victoires qu’il ne peut remporter autrement qu’à la Pyrrhus, tant elles sont imméritées. Or, sans chercher à minimiser les résultats du camp national, il demeure qu’un quart « seulement » des électeurs votent FN aujourd’hui, quand, à la présidentielle, il en faudra la moitié plus une voix pour parvenir au pouvoir. A cette enseigne, 2017 ou 2022 sont à des années-lumière. En outre, la ligne « ni droite-ni gauche » défendue par le FN atteint ses limites, non pas tant dans la pertinence de fond d’une récusation d’un clivage aussi classique qu’effectivement dépassé, que dans la stratégie de conquête, d’aucuns, en son sein, estimant même qu’elle dérive vers le « ni droite-ni droite », dans le but d’attirer une armada de militants dont l’opportunisme n’a d’égal que celui des jeunes loups arrivistes des partis concurrents. C’est précisément ce qui fait la force du néo-FN : un parti assurant des places et des perspectives de carrière politique que ni la gauche, ni la « droite » institutionnelles, saturées par le clientélisme et le prébendisme, ne sont plus en mesure de leur offrir. Cette arrivée massive d’adhérents incultes abhorrant, il y a encore peu, le vieux Satan de la Trinité, s’est accompagnée d’une refonte du corpus doctrinal entièrement expurgé de ses pages fondatrices, au profit de vagues slogans fossilisés et remis au goût du jour. La dédiabolisation (divinisation à l’envers, selon Michel Onfray) est passée concomitamment par une normalisation du discours et des actes selon les canons du politiquement correct. Marine percerait-elle sous Le Pen ? Ou Philippot sous Marine…

    Article publié dans L'Action française 2000 n°2909

  • La gauche, le socialisme, le peuple et la nation

    Classique tétralogie que deux penseurs de haute volée, tels Jean-Claude Michéa et Jacques Julliard, nous convient à revisiter au travers d’échanges épistolaires aussi denses que stimulants et roboratifs. A la recherche du peuple perdu, aurait pu être le titre ou le sous-titre de cette talentueuse Gauche et le peuple, n’aurait été son antériorité dans un essai (d’une bien moindre épaisseur philosophique, faut-il le reconnaitre) d’Ivan Rioufol en 2011 (Les éditions de Passy).

    Hiatus libéral entre le peuple et les élites

    Michéa revient sur la tare libérale congénitale, issue des Lumières, qui affecte la gauche, avatar d’un socialisme dévoyé qui a tôt fait le choix de trahir le peuple en ralliant inconditionnellement, le « camps du progrès ». Ce qui faisait la singularité du socialisme ouvrier originel résidait précisément dans une éthique « séparatiste » qui le tenait à bonne distance des forces, soi-disant anti-réactionnaires, de la gauche bourgeoise et républicaine. Julliard, continue, honnêtement, de croire en cette « illusion du progrès » guidant le peuple, persistant à penser que « pour la gauche, il n’y a pas de tâche intellectuelle plus urgente que de réconcilier le progrès scientifique avec la justice sociale ». Au socialisme proudhonien et anarcho-conservateur, du premier, répond celui du second, inflexiblement héritier de 1789, mâtinée de comtisme et de radicalisme tercéro-républicain. L’un invite à « penser avec les Lumières contre les Lumières », quand l’autre s’évertue à ne voir dans « le populisme du peuple [que] la réplique à l’élitisme des élites ». Il semble que cet antagonisme simpliste ne rend absolument pas compte de l’infinie complexité de ce qu’est, foncièrement, l’âme d’un peuple. Michéa a donc raison de convoquer Machiavel quand celui-ci affirme que l’« on ne peut honnêtement et sans faire tort à autrui satisfaire les Grands, mais qu’avec le Peuple, on le peut : car le désir du Peuple est plus honnête que celui des Grands, ces derniers veulent opprimer, celui-là ne pas être opprimé ». Julliard ne voit pas qu’en rejetant le populisme au nom de l’idée unitaire (« continuiste » écrit-il) d’une « gauche faisant bloc, bourgeoisie et prolétariat confondus », il ne conçoit, rien moins, qu’un peuple épuré qui serait, finalement, celui des élites qu’il fustige pourtant dans ses lettres. Il est un fait, historiquement et politiquement avéré, que cette élite a toujours prétendu parler au nom du peuple, de Gambetta au Front populaire, sans parfaitement l’incarner. Tout en critiquant, fort justement, le « substitutionnisme parlementaire dans lequel l’assemblée élue prend la place du peuple électeur et usurpe sa souveraineté » (soit, en d’autres termes, le mécanisme de la démocratie représentative) et en avertissant, non moins judicieusement, des dangers qu’il y aurait à succomber aux sirènes « des autres substitutionnismes d’essence dictatoriale, qui transfèrent la souveraineté du peuple à ses représentants autoproclamés », l’auteur de la magistrale histoire des Gauches françaises (Flammarion, 2012), prisonnier de ses postulats idéologiques de jeunesse (ou, pire, de ses habitudes intellectuelles, ce qui est la forme la plus paresseuse de la pensée), s’interdit toute réflexion, de nature proprement dialectique, sur la nature du pouvoir (que notre historien, s’adossant à Simone Weil, réduit au truisme d’une inexorable « nécessité » d’ordre social) et, partant, sur la nature profonde du peuple.

    Le peuple n’est ni à droite, ni à gauche

    C’est précisément le sujet du livre. Si les deux épistoliers s’accordent pour dire que le peuple n’est pas la gauche, Julliard n’hésite pas à soutenir que « le peuple a toujours choisi la gauche, parce qu’il croyait au progrès, et qu’il espérait dans le progrès pour l’amélioration de sa condition », quand Michéa, à la suite du journaliste américain, Thomas Franck, se demande « pourquoi les pauvres votent-ils à droite ? ». Fidèle à la méthode dialectique (qui n’est pas l’apanage de l’hégéliano-marxisme), l’on pourrait tout aussi bien considérer que le peuple n’est ni de gauche, ni de droite ; qu’il peut être même à gauche et à droite, successivement ou concomitamment. Que l’on peut suivre le cortège d’Hugo comme celui de Bainville, que l’on peut admirer Proudhon et La Tour du Pin, et, finalement, que l’on peut voter pour Marine Le Pen après avoir été fils de communiste et avoir milité sous les espèces de la faucille et du marteau. Et si le peuple, dans sa fraction la plus impécunieuse (encore qu’il soit dérisoire et insatisfaisant de se borner à une modélisation purement économique de l’indice de pauvreté) ou désespérée se met, aujourd’hui, à préférer une certaine droite lepéniste – voire, dans une certaine mesure, sarkozyste –, c’est sans doute parce que la gauche, après l’avoir abandonné dans les bidonvilles de la mondialisation, ne sait guère plus lui parler de la nation. Certes, la droite politicienne le fait d’une façon calculée et cynique, mais la gauche, par son tropisme multiculturaliste et transfrontières, l’en éloigne irrémédiablement. Dès lors, au-delà de l’écume électorale, il faut bien voir que le peuple ressent, plus ou moins confusément, la nécessité vitale de réentendre la douce et primordiale mélopée de la nation. Cela ne signifie pas non plus que le peuple soit particulièrement nationaliste, mais il demeure fondamentalement national. En arrière-plan de cet attachement atavique à la terre de ses pères, c’est toute une vision du monde inhérente à cet enracinement de naissance, avec laquelle le peuple tente de renouer les fils d’une trame ancestrale. En d’autres termes, le peuple se trouve par rapport à la nation, dans un état littéral d’incorporation (« embedded » comme disent les anglo-saxons). Détruire les fondements de la nation, notamment en la diabolisant pour cause d’archaïsme fascisant, revient donc logiquement à désintégrer le peuple – qui en est le substrat nécessaire –, ravalé au beau aviné et stupide.

    Le socialisme comme décence commune

    Ce que Michéa dénomme avec Orwell, la « common decency », Julliard, avec non moins de justesse, la qualifie de « moralité populaire [qui] est comme le sentiment national chez Renan : elle repose pour partie sur un passé commun, avec ce qu’il suppose de souvenirs préservés et d’oublis volontaires, mais elle implique aussi une élaboration de tous les instants ». Bien plus, cette morale, soit « celle que l’on s’applique à soi-même (…), est à base d’honneur, de charité et de solidarité, ces valeurs collectives héritées d’un vieux fond éthique commun (…) à l’aristocratie, au christianisme, au mouvement ouvrier ». En ce sens, nous disent les deux contradicteurs, en écho à Charles Péguy, le socialisme est moral ou ne l’est pas. Ainsi, en France, loin d’être de ou à gauche, le socialisme est d’abord populaire en ce qu’il a toujours originellement prétendu à remettre en cause le capitalisme comme logique – et comme fin ultime – de production et d’accumulation perpétuelle et illimitée des biens de consommation. La morale populaire commune – que d’aucuns appelleraient le sens commun – apparait, en conséquence, comme l’aune à l’enseigne de laquelle s’apprécie collectivement le danger de l’hubris. A cet égard, Marx, moins « marxiste » qu’on ne le dit parfois, notait : « combien paraît sublime l’antique conception (…) qui fait de l’homme le but de la production, en comparaison de celle du monde moderne où le but de l’homme est la production ». Or, le basculement dans la démesure, pulvérise naturellement toute limite ainsi que toute idée même de cette notion qui doit « logiquement finir par devenir philosophiquement impensable », comme le remarque Michéa.  C’est dire que le « grand remplacement » théorisé par Renaud Camus, va bien au-delà du « simple » changement » de peuple, démographiquement parlant. Il en affecte, en effet, tous les ressorts anthropologiques, de la même façon que la consommation, par trop régulière et répétée, de « fast-foods », inverse le processus de métabolisation par l’organisme en l’assimilant peu à peu avec ce qu’il ingère. On saisit alors combien cette altération de la nature profonde des peuples aboutit immanquablement à la métamorphose foncière de la nation. L’urbanisation croissante, le tourisme de masse (avec son inévitable lot de parcs de loisirs, d’hôtels-dortoirs et de cantines-restaurants), l’écologisme totalitaire des énergies soi-disant propres et renouvelables (ses parcs éoliens et photovoltaïques), les complexes agro-industriels (les fermes des « 1000 » vaches et des « 250 000 » poules pondeuses dans la Somme, des « 3000 » cochons dans l’Oise ou les « 1000 » veaux hors-sols du Plateaux des Millevaches), les surpollutions des villes et cités périurbaines, sont autant d’exemples effarants de cette dantesque entreprise de dénationalisation qui s’analyse en un véritable grand dépaysement et, a fortiori, en un déracinement massif des peuples autochtones. C’est dire que toute approche populiste de la nation et donc du socialisme réel, passe par la prise en compte prioritairement politique de ce qu’Hervé Juvin a baptisé l’écologie humaine. C’est, en outre, à cette aune que l’on doit désormais interpréter cette phrase célèbre de Charles Maurras : « un socialisme débarrassé de ses oripeaux cosmopolites, et marxistes, irait au nationalisme comme un gant à une belle main ».

    Aristide Leucate

    Article paru dans L'Action Française 2000 n°2898